Édition, auto-édition de masse : l’emballement ?

Plus d’un mois que je tourne autour de l’idée de ce billet. Après avoir rédigé une première version, puis décidé que je n’allais pas la publier… j’ai fini par comprendre que le seul angle sous lequel je pouvais raisonnablement l’envisager, c’est celui d’une totale subjectivité.

Ce texte expose donc un point de vue personnel. Le vôtre est peut-être radicalement différent – et pourtant tout aussi légitime.

Auteur cherchant à régler ses problèmes administratifs (Courbet, le désespéré).

Il importe, tout d’abord, de ne stigmatiser personne : le milieu de l’édition, que j’ai côtoyé pendant quelques années, est plein de gens qui se donnent avec passion. Qui cherchent à changer les règles de ce jeu qui fait désormais penser à un manège impossible à stopper. Ou à un rite sacrificiel, dans lequel c’est toujours l’auteur qui finit dévoré… à quelques exceptions près. Mais même ceux qui s’en sortent, les rares chanceux qui bénéficient d’un contrat favorable et d’une bonne communication à la parution de leur œuvre… se retrouvent immédiatement jetés sur un autre champ de bataille. Le statut d’artiste-auteur, et les relations avec les instances administratives qui l’encadrent sont – pour l’instant – un véritable calvaire. Déjà précaire par nature ces dernières années (car les succès de librairie sont rares), le cotisant doit passer de longues heures stressantes à tenter de démêler des embrouilles vertigineuses. Il suffit de suivre les travaux de la Ligue des auteurs professionnels, de lire leurs témoignages, pour comprendre l’ampleur et la diversité des problèmes.

L’hommage à Kafka toujours renouvelé, merci pour lui, mais ça reste assez effrayant. À noter que ce statut est désormais ouvert aux auto-édités, on frémit de reconnaissance.

Dans le contexte de débâcle économique que nous vivons, les maisons d’édition ne peuvent plus se permettre de prendre le moindre risque. Impossible de leur en vouloir, le contraire les exposerait au naufrage. Il faut que le texte soit dans l’air du temps – et vendable. Mais l’auteur aussi. Qu’il soit présentable et dispose de quelques compétences sociales. Qu’il éprouve du plaisir à se mettre en lumière. Les introvertis, certains phobiques et neuroatypiques me comprendront : ce n’est pas donné à tout le monde ;-).

Lorsque j’ai commencé à écrire la Source des Siècles, je n’ai pas pensé une seconde au volet commercial. Ni à plaire au plus grand nombre. C’était avant tout un défi personnel, une cascade de jeux emboîtés : premièrement, produire une pure aventure de Fantasy et de SF, les genres avec lesquels je suis en amour depuis des lustres. Une œuvre distrayante, accessible à partir de l’adolescence, au premier degré… mais pleine de passages secrets pour nourrir les méditations de lecteurs plus âgés.

En vrac : panacher langage soutenu et familier tout en simplifiant le style pour le mettre au service du récit, m’amuser avec le référentiel de la pop culture. Démontrer que les clichés du genre, les rôles masculins et féminins en particulier, pouvaient être proprement inversés sans que personne n’y perçoive le moindre hiatus… parce qu’en fait, nous n’en sommes plus là (la reproduction tient pour l’essentiel à des automatismes, il me semble, au moins du côté lumineux de la Force ;-). Et m’emparer de certains dispositifs littéraires qui me fascinent depuis toujours : la mise en abyme, l’ironie dramatique, le métarécit.

Pour tout arranger, j’ai choisi une construction en trompe-l’œil, qui cache longtemps son jeu. Il faut aller au bout de l’histoire pour voir apparaître l’image en relief. Et j’en ai profité pour poser quelques questions inconfortables sur l’humanité prise au piège par les errements de son hybris. Sur la science et ses ambitions prométhéennes. Sur la liberté et la conscience. Sans apporter aucune réponse, parce que je n’en ai pas. L’idée étant simplement d’y réfléchir.

Bref, arrivée là, à la fin de l’écriture, au terme de multiples révisions, il était clair que cette entreprise collait assez mal avec l’idée de bouquin facile à catégoriser, aisément commercialisable. J’ai fait un maigre essai d’envoi avant de me rendre compte d’un autre écueil majeur. Je n’étais absolument pas prête à vendre mon monde. Ni à patienter des années… pour le droit de signer un papier permettant à quelqu’un de se l’approprier, jusqu’à soixante-dix ans après ma mort. Perspective faustienne, s’il en fut. Et par-dessus tout, je suis une sauvage assumée, qui vit au fond d’une forêt, craignant même l’idée de voir ma photo traîner sur Internet… je tente de me soigner, mais sur ce dernier point, je sais que ça va être compliqué. En conséquence, je n’avais rien pour intéresser ces gens. Et ils m’inquiétaient plus qu’autre chose.

S’est donc présentée l’alternative de l’auto-édition. J’ai longuement tâté la température de l’eau, comme je le fais toujours avant de plonger… et en ai retiré une sensation de gâchis encore bien pire que celle de l’édition classique. Ce qui est déjà un exploit en soi (j’en parlais un peu plus haut, mais sans évoquer les autres travers du milieu ; encore une fois, inutile d’accabler tout le monde à cause de l’indécence de quelques-uns).

Au centre de la scène, Amazon, alias le grand illusionniste. Avant lui, effectivement, c’était plus compliqué. Mais il a convaincu les moins avertis des postulants (et ils sont nombreux) de lancer leur œuvre sur le marché sans le moindre fini éditorial – alors que certains romans recelaient sûrement un vrai potentiel, pour peu qu’on y mette le temps et le travail nécessaires. Une machine titanesque, qui avale des textes par milliers chaque jour, pousse à négliger les réalités de l’écriture, et… invisibilise les auteurs intéressants. Sans même compter le harcèlement des lecteurs et lectrices – dont je suis – avec des avalanches de recommandations douteuses. Bref, rentrer dans cette arène demanderait a minima une sérieuse préparation.

Des deux côtés, classique et auto-édition, on constate la même surproduction… et une vraie difficulté pour dénicher les œuvres de qualité. Elles sont toujours là, mais perdues dans une frénésie d’offres qui ne permet plus d’y voir clair. Et il sera sans doute impossible de revenir en arrière, en ce domaine. Du moins, pas avant le krach ultime.

 

Mise à jour 4 juillet 2021

Le premier tome est resté une année en diffusion limitée. Chemin faisant, l’histoire a rencontré ses lecteurs, et même quelques enthousiastes, en particulier parmi ceux qui ont eu le temps d’acquérir un brin de culture littéraire, cinématographique, internet, pop culture… Ce qui m’a permis de recentrer ma communication : même si la forme que j’ai voulue, simple et lisible, le rend accessible à partir de l’adolescence, ce n’est pas à proprement parler un roman jeunesse. Il peut simplement être lu au premier degré.

Le second tome est désormais bouclé, avec une fin en forme d’apothéose… que je n’avais certes pas prévue il y a trois ans de cela. Et vu le nombre inattendu de volontaires pour découvrir la suite de l’histoire en avant-première, ou effectuer une bêta-lecture, je crois que je ne prendrais pas trop de risques… à jeter Cinqueterre dans le grand bain 😊!

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