Un autre regard sur les “verbes ternes”, ou les limites d’Antidote.

Antidote est un outil excellent et pour ma part je n’ai aucune envie de m’en passer. Que ce soit clair, pour commencer ce billet : il reste le meilleur pour dénicher nombre de petites étourderies et coquilles embusquées, de fautes semées dans le flot de l’écriture et devenues invisibles, parce que notre cerveau corrige de lui-même – mais malheureusement, pas dans la réalité. Il fait gagner un temps fou.

En ce qui concerne les répétitions, je n’ai jamais trouvé mieux. Celles-ci ont moins mauvaise presse, ces derniers temps, et c’est un peu dommage. Varier l’expression, dire la même chose de plusieurs manières différentes, c’est aussi donner plus de profondeur et de relief au texte, rajouter des couleurs. Lorsque la redondance est sensible, qu’elle n’obéit à aucun effet de style… bref, qu’elle se retrouve là par défaut… ça laisse quand même un petit goût d’inachevé.

Sinon, le piège principal d’Antidote, je pense que tout le monde l’identifie plus ou moins : il faut déjà avoir un bon niveau en orthographe et grammaire pour distinguer les vraies erreurs des faux positifs, qui sont nombreux. Lorsqu’une phrase contient une apposition, en particulier, il propose régulièrement un accord du verbe tout à fait fantaisiste. Un logiciel ne permettra jamais de faire l’économie d’un regard expérimenté.

Mais le problème le plus épineux est ailleurs. Antidote n’est pas un maître en stylistique, c’est une aide technique. Il est destiné à assister les rédacteurs dans nombre de registres très variés : rapports, mails professionnels, discours, communication, journalisme, etc. Il n’est pas centré sur la littérature. Il ne donne aucune piste vers l’écriture du « livre parfait », quoi qu’on en pense. Le secret du roman admirable n’existe pas, d’ailleurs.

Et depuis que cet outil a été mis sur le marché, on a vu se développer une espèce de nouvelle chasse aux sorcières. La traque des verbes ternes. Dans le même temps, étrangement, sont apparus beaucoup de textes indigestes, compacts, ne laissant aucune place à l’imagination du lecteur, à son vagabondage. Aucun moment de repos, pas d’oxygène entre les lignes.

D’autres sont parfaitement composés, mais l’émotion manque à l’appel.

Il peut y avoir un public pour tout cela. Pourtant, est-ce vraiment satisfaisant ?

On est là dans un domaine compliqué, parce qu’il réclame beaucoup de discernement. De réussir à maintenir l’équilibre entre plusieurs exigences tout à fait contradictoires.

Premièrement, la plupart du temps, la précision des termes vaut mieux que l’approximation. Impossible de le nier.

Mais d’un autre côté, Stephen King a raison lorsqu’il explique qu’une narration romanesque capable de happer le lecteur demande beaucoup d’humilité lexicale : « de deux mots, choisissez le plus simple », dit-il.

Et enfin, il s’agit de comprendre que tous les niveaux de langue peuvent avoir leur légitimité à certains moments du texte.

Les fameux verbes ternes, par exemple.

Ils sont aussi l’articulation la plus légère et modeste du français, ne produisent quasiment pas d’effet de répétition. Ils apportent souvent une proximité unique. Ils sont irremplaçables pour le rendu des moments sensibles. À ces instants, le lecteur n’a aucun besoin de précision ou de virtuosité. Mais qu’il y ait le moins de distance possible entre lui et les sentiments nichés au creux des lignes.

Et on pourrait dire la même chose de bien des termes appartenant au vocabulaire de base. C’est leur nature élémentaire qui leur permet de se faire oublier, laissant au lecteur la liberté d’y glisser ses propres réminiscences. Mais ils sont ceux qu’Antidote désigne explicitement comme faibles.

Regardez chez les grands auteurs, les séquences qui vibrent d’émotion sont régulièrement écrites à base de mots très simples, qui se révèlent ainsi les plus proches du cœur. Ce qui fonctionne pour un texte à visée théorique ou technique n’est pas toujours la bonne solution en littérature. Comme en témoignent les citations dont j’ai parsemé ce billet.


 

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