Le syndrome de la page blanche expliqué par Stephen King

Retour sur ce blog. Comme je l’ai précisé au départ, je le mets à jour sans pression. Et surtout pas lorsque je n’ai rien d’original à raconter, juste pour créer du mouvement et attirer le chaland. L’écriture m’occupe entièrement, en ce moment, tout ce qui papillonne autour devra attendre. Le tome II de Cinqueterre prend à peu près toute la place dans mon esprit. Jusqu’à l’été, probablement (ensuite, pendant qu’il reposera au frais, on reverra la couverture et le mode de diffusion du tome I, voilà pour le planning).

Bref. En fait, si je publie ce billet aujourd’hui, c’est simplement parce qu’une de mes anecdotes préférées gisait par cinq cents mètres de fond dans la partie privée d’un forum, alors qu’elle pourrait servir à beaucoup. C’est une leçon de Stephen King, qu’il partage dans son livre “Écriture : Mémoires d’un métier“. En incorrigible prolifique, il en fait dix pages avec de multiples détours, mais le cœur de l’affaire vaut vraiment le coup d’être dégagé – et bien compris.

Je signale au passage que je voue une admiration sans bornes au monsieur en question, même s’il m’est arrivé de ne plus pouvoir le lire pendant quelques années, tellement un de ses bouquins m’avait terrorisée (*). Parce qu’il a poussé au maximum l’art de la simplicité. Chez lui, tout, absolument tout, est mis au service du récit.

Voici son expérience du syndrome de la page blanche, ce croquemitaine qui hante tous les auteurs. Et la substantifique moelle qu’il en a retirée.

La grande et désastreuse panne lui tomba donc dessus sans préavis, au beau milieu de l’écriture du Fléau (son œuvre la plus appréciée par les lecteurs, dit-il). Lui donnant pendant quelques semaines l’affreuse certitude que le livre ne sortirait jamais. Il se mit à errer chaque jour dans la campagne, cherchant la lumière. Désespéré, pensant aux centaines de pages déjà rédigées, à tout ce travail monumental qu’il croyait désormais inutile.

Pourtant, un beau matin, en l’espace d’une seconde, il comprit le sens de cette absence d’inspiration, trouva en même temps la suite de son roman, et en tira un enseignement qui peut servir à tous ceux qui pratiquent cet étrange métier consistant à raconter des histoires déplorables, oui, mais le mieux possible.

Pour mémoire, “Le Fléau” est le récit d’une gigantesque épidémie, qui dévaste notre monde en ne laissant que peu de survivants. En conséquence, ceux-ci doivent se débrouiller pour s’en sortir sur une planète à peu près déserte. De petites compagnies se forment, des alliances… mais bien entendu, les rescapés ne sont pas tous animés de bonnes intentions. Ce ne serait pas très drôle.

Voilà donc le maître en train de courir les champs et les vallées, s’arrachant les cheveux et pleurant sur son œuvre perdue.

Pendant des semaines, mes réflexions ne débouchèrent sur rien ; tout cela paraissait trop difficile, trop forcément complexe. J’avais deux fils conducteurs en grand danger de s’emmêler. Je tournais et retournais autour du problème, tapais du poing dessus, me cognait la tête dessus…

Puis la solution lui arrive d’un coup “en un seul éclair”. Il est tellement terrifié à l’idée d’oublier qu’il court jusqu’à chez lui pour prendre des notes frénétiquement.

Les premières et balbutiantes émissions radio (…) ne tarderaient pas à conduire à une renaissance de la télé ; et bientôt ce serait de nouveau le télémarketing, la pub et les numéros verts.

Plus tard, à l’achèvement de la première mouture, je pus comprendre ce qui m’avait arrêté à mi-chemin ; c’était beaucoup plus facile d’y penser sans cette voix ne cessant de geindre : “mon livre est fichu ! Ah merde, cinq cents pages, et le livre est fichu ! Alerte rouge, alerte rouge !”

En résumé, ses personnages, “le groupe des bons”, étaient en train de partir exactement dans la même direction qu’avant la catastrophe. Ils s’étaient simplement mis en devoir de rebâtir le monde, à l’identique. N’avaient rien appris.

En fait, du point de vue narratif, c’était plutôt simple : une bombe dans un placard, qui changerait leur destin. Et tout le reste du livre lui arrive en neuf semaines.

Mais pourquoi cette mésaventure fut-elle si importante pour lui ?

Parce qu’elle lui permit comprendre qu’il écrivait nécessairement sur un thème – et à travers le filtre de ses convictions personnelles. Les principes ne dirigent pas le récit, et ils ne le doivent pas, sous peine de produire une fiction pesante et ennuyeuse. Mais n’empêche, l’histoire le ramenait à un de ses sujets de prédilection. En l’occurrence, là, “l’adoration aveugle du veau d’or électronique”, selon ses propres termes.

Après cette expérience, il s’est toujours demandé sur quoi il écrivait. Ce qui a considérablement facilité son travail. Alors qu’en débutant, il imaginait que ce genre de questionnement était réservé “aux Grands Cerveaux et aux Grands Penseurs”. Pas aux auteurs populaires comme lui.

Et il conclut :
Une fois que votre histoire est couchée sur le papier (…), vous vous devez de réfléchir à ce qu’elle signifie et d’enrichir les moutures suivantes de vos conclusions. Ne pas le faire serait priver votre œuvre (et en fin de compte vos lecteurs) de la vision qui fait que chaque histoire est la vôtre et uniquement la vôtre.

Bref, la page blanche, est-ce ce moment où vous avez perdu de vue ce qui vous guide dans l’écriture ? Ce que vous, en tant qu’individu, avez vraiment à dire, sous les strates du récit ? Le moteur secret de l’auteur, c’est sans doute l’existence de questions qui nous dépassent… et nous poussent donc à toujours chercher plus loin. Le meilleur moyen de remettre les choses en route serait-il d’arrêter de penser à la panne et de commencer à réfléchir sur soi-même ?

 

(*) Lire “Simetierre” quand vous êtes vous-même parent d’un enfant de deux ans, ça n’est pas du tout une bonne idée.

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