Bêta-lecture & commentaires récurrents

Je ne donne pas de conseils d’écriture génériques, mais je réalise souvent des bêta-lectures, en particulier pour les amies et amis qui cultivent un esprit de réciprocité. Et récemment, j’ai remarqué que je pouvais copier-coller des commentaires identiques, d’une BL à l’autre. J’en ai conclu qu’il s’agissait de problèmes courants, et qu’il pourrait être intéressant de les lister, histoire de faire gagner du temps à tout le monde. J’ai tenté de classer peu ou prou mes observations, pour simplifier la lecture.
Il est donc tout à fait possible qu’elles ne vous concernent pas, que tout ceci ne soit qu’une redite des choses que vous savez déjà. Et d’autre part, ce n’est absolument pas exhaustif : ce sont seulement les remarques qui reviennent fréquemment, accompagnées de solutions… qui elles aussi peuvent êtres vues comme personnelles, et sont adaptées à la pratique que je connais, l’écriture narrative dans le domaine de l’imaginaire.

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Le personnage et son monde

Manque de consistance psychologique, manque d’intériorité des personnages.
Un rapport de lecture qui prévient “je n’arrive pas à m’attacher / m’intéresser aux personnages” c’est assez courant, semble-t-il… De fait, l’intérêt ou l’attachement aux personnages se crée à travers le développement de leur intériorité, et aussi par leurs réactions face aux évènements. Même celles d’un antagoniste, le lecteur peut les reconnaître et les comprendre dans un certain sens ; celles d’un héros classique à plus forte raison, puisque la plupart du temps, elles sont positives et généreuses.

La vraisemblance de leur caractère se traduit par des attitudes harmonisées avec ce qu’ils sont profondément, des réactions cohérentes (y compris avec leurs incohérences personnelles), et en proportion avec l’interaction concernée. Le but est d’en faire des personnages qui donnent l’impression d’exister concrètement. Il faut donc les ressentir intimement lorsqu’on les met en scène. La meilleure recette : observer le réel, bien sûr. Les films et les séries peuvent aussi aider, puisque les comportements y sont souvent stylisés, donc faciles à décrypter.

L’objectif est d’amener le lecteur à se soucier d’eux. Pas forcément les aimer ni même s’identifier. S’intéresser à ce qui leur arrive, vouloir les suivre pour le savoir. Ursula le Guin disait que “tout part du personnage”… que lorsqu’on ressent un manque dans un texte, c’est de lui qu’on doit s’occuper en priorité. Qu’à ce moment, “il se passe toujours quelque chose“. Et mine de rien, c’est une excellente astuce. Parce que c’est vrai, si les personnages n’inspirent rien, l’écriture peut être splendide, il ne capte que la portion congrue des lecteurs qui peut se satisfaire d’une intrigue ingénieuse (et encore faut-il qu’elle le soit).

Quand le personnage est mêlé à une quelconque péripétie, il doit réagir.
On rencontre assez souvent ce genre de disposition – en exagérant un peu le drame, pour que ça soit plus visible :

1) Gisèle est renversée un camion. Son frère Gédéon assiste à la scène.
2) Il s’approche immédiatement du lieu de l’accident.

Il y a un trou énorme entre ces deux notations, non ? Dit comme ça, c’est évident… pourtant c’est un souci récurrent. Et un personnage sans émotions ne peut pas en transmettre.

Niveau de langue et lexique identiques chez tous les personnages, alors qu’ils sont d’âge, d’origine, de culture variées. Bon, je ne vais pas épiloguer là-dessus, il est clair que leur expression est un merveilleux outil pour mettre en lumière leurs différences.

Sabotage du ‘capital’ du personnage positif.
On peut s’intéresser à un antagoniste, bien sûr, pour peu qu’on comprenne ses réactions, même en le désapprouvant. Mais si un héros initialement mis en avant comme digne d’admiration par l’auteur – se comporte soudainement de manière désagréable ou brutale ce doit être pour une raison juste, et occasionnellement… sinon il perd des points et le lecteur finit par se désintéresser de son sort.
S’il se met à se conduire inopinément de façon cruelle, malfaisante, perverse… il explose son capital sympathie et le lecteur risque de lâcher l’affaire.

Ceci ne vaut pas pour les antagonistes, semi-antagonistes, et “héros négatifs“, bien sûr (je n’utilise pas le terme d’anti-héros dans ce sens, car à l’origine il désignait un personnage vulnérable, entraîné dans une aventure contre son gré, et forcé d’évoluer pour y survivre).

Absence de décor, d’environnement, d’ambiance.
De nos jours (car l’ère de l’image a changé nos perceptions et nos attentes), lorsqu’on compose une scène, on considère qu’il faut donner au lecteur les moyens de la visualiser.
Exemple : on entre dans une pièce… Comment est-elle, propre, sale, grande, petite ? Quel est son aménagement ? Est-elle claire, sombre, d’où vient la lumière ? Quelle atmosphère cette lumière produit-elle ? Y a-t-il des odeurs ?

Il n’est bien sûr pas utile (ni recommandable) de parler de tout ça à chaque fois, l’intérêt étant de disposer d’éléments signifiants pour enrichir la scène… mais trop souvent, dans les textes en devenir, on a l’impression que l’auteur galope, même si la langue est maîtrisée et la plume habile… parce qu’en fait, ce n’est pas écrire qu’il veut. C’est… avoir écrit. En finir. Ce qui aboutit régulièrement sur des ossatures de romans, sans chair ni nerfs, sans matérialité perceptible. C’est un long voyage, de terminer une fiction qui tienne debout. Mais curieusement, on ne peut l’achever… qu’en cheminant pas à pas, en regardant sans cesse autour de soi. Le vrai secret de l’écriture, c’est peut-être de prendre son temps ?

On peut se dire qu’on n’écrit jamais un roman mais des scènes… et à l’intérieur de ces scènes, des instants. Où tout détail – matériel ou non – peut avoir son poids et son importance dans la construction globale. Chacune de ces séquences demande donc qu’on soit capable de s’y arrêter.

 

L’architecture, la structuration, l’ossature du texte

Traitement des évènements saillants, en rupture, bizarres, magiques…
L’astuce est simple, mais se retrouve dans tous les (bons) bouquins, elle est universellement appliquée. Plus c’est inattendu, déconcertant, choquant… plus il faut le décrire de manière minutieuse. Le lecteur est là pour se distraire et en conséquence, il n’est pas forcément attentif. On ne peut pas lui demander de courir après les indices que l’auteur a bien voulu semer, quand celui-ci a introduit un fait extravagant ou un retournement radical.

Certains auteurs répondront invariablement : “oui, c’est imprécis, mais je veux que le lecteur se questionne“. En réalité, rester flou dans son expression n’est pas la bonne manière de faire comprendre qu’il y a là un mystère sur lequel il doit s’interroger. Cela ressemble à une maladresse ou à une rétention d’information, laquelle n’est pas un procédé littéraire. Pour que le lecteur le suive, l’auteur doit lui faire sentir qu’il sait où il va. La technique de base est efficace (il y en a de beaucoup plus subtiles, évidemment) : que le personnage se pose lui-même les questions qui viennent à l’esprit du lecteur. Bref, c’est toujours l’auteur qui dirige son regard, qui mène la barque. S’il semble avancer à tâtons, je ne suis pas sûre qu’on ait envie de l’accompagner bien longtemps.

L’introduction trop tardive d’un fait saillant provoque une sensation de forçage. Tout comme le pouvoir magique qui se révèle pile au moment où le héros en a besoin, sans le moindre préavis. On a l’impression que l’auteur se rattrape aux branches.

En réalité, la méthode est toute bête : remonter dans le texte pour trouver où insérer l’élément, ou préparer son apparition (en deux étapes, c’est bien aussi). Comme l’architecture prospective contribue à donner une colonne vertébrale au texte, on gagne sur tous les tableaux. Une pratique qu’on pourrait dire en miroir du fusil de Tchekhov.

De la même manière, on rencontre des ‘fondamentaux de construction de l’univers‘, mais intégrés si tard dans le récit qu’on a l’impression que l’auteur vient juste d’y penser (en fait, ces gens-là maîtrisaient le voyage temporel, tiens !). Et des descriptions physiques de personnages principaux… qui interviennent lorsque le lecteur a déjà formé sa propre image mentale – ce qui produit un carambolage. Une description physique détaillée n’est jamais obligatoire, mais s’il en existe une, mieux vaut l’introduire le plus tôt possible.

Les enjeux qui arrivent trop tard, registre voisin… et qui peut avoir des conséquences plus graves.
Le traitement “in media res est désormais un grand classique. Mais sans aller jusqu’à démarrer l’histoire en plein milieu d’une action, l’incipit doit être calculé pour retenir le lecteur en piquant sa curiosité ; c’est à ce moment qu’on le capte… ou qu’il repose le livre.

À noter : une fin de paragraphe est le pire endroit pour introduire un fait saillant. Beaucoup de lecteurs aguerris ont un processus de compréhension synthétique, et quand ils ont l’impression d’avoir saisi l’objet d’un paragraphe, surtout si celui-ci est assez factuel, ils sautent au suivant.

Et last but not least, l’absence de documentation : faire intervenir un dispositif technique ou scientifique demande souvent de se documenter pour réussir à établir une vraisemblance. Et même pour les descriptions de paysages ou de villes, s’appuyer sur quelques recherches en matière d’histoire, d’architecture, de géographie, de géologie ou de botanique (et ainsi de suite), donne plus de poids au texte.

 

Style

Dialogues “trop écrits”. On en rencontre souvent qui ne relèvent pas du langage parlé, lire à voix haute pour s’en assurer.

L’hésitation à aller droit au but.
Exemple : “Il quitta son fauteuil et étendit les bras de part et d’autre pour l’accueillir“.
Pourquoi pas : “Il se leva et ouvrit les bras” ?

Tortiller une explication qui devrait être limpide ne produit généralement aucun effet intéressant. Problème qu’on rencontre souvent dans les textes en devenir : hésiter à dire les choses comme elles sont, dans l’espoir d’avoir du style, ce qui engendre plutôt l’effet inverse, un style approximatif. Simplifier les notations basiques, les rendre plus rapides et dynamiques, c’est quand même le plus court chemin d’un point à un autre.

L’abus d’hyperboles
Les personnages qui surréagissent, qui en font des tonnes sur presque rien, le moindre problème qui est raconté comme cataclysmique, les descriptions qui choisissent systématiquement l’extrême (vent glacial, chaleur caniculaire, lieux terrifiants ou paradisiaques…). Toutes ces dispositions relèvent de l’abus d’hyperboles, dont l’auteur imagine qu’elles donneront plus d’intensité et de vigueur à son texte. En réalité, cela revient à jeter toutes ses forces dans la bataille quand il n’y en a aucun besoin, et donc affaiblit l’ensemble. C’est par contraste que les vrais moments dramatiques sont mis en valeur.

Le point de vue
La théorie mise au clair par Gérard Genette est désormais très connue… et partant de là, la focalisation est souvent mieux gérée, depuis quelques années. Néanmoins, il n’est pas inutile de le répéter : la conduite rigoureuse des points de vue est certainement l’outil le plus puissant de structuration du texte (du moins dans une acception littéraire moderne). Il est donc préférable de faire un choix à ce propos en amont de l’écriture, et de s’y tenir.

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3 thoughts on “Bêta-lecture & commentaires récurrents

  1. Merci de ces bons commentaires. Très utiles. Bien sûr on en connaît certains (ou pas) et on en reconnaît d’autres (mais oui ! Je sais ! On me l’a déjà dit !) mais ça ne fait certainement pas de mal de nous les répéter (parce que tu le sais mais que tu ne le fais toujours pas !) et à nous de les avoir en tête pour relire nos textes (enfin tu t’y mets sérieusement) !

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